Bilan 2001 des changements climatiques :
Les éléments scientifiques

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C.1 Changements observés des concentrations des gaz à effet de serre bien mélangés et du forçage radiatif

Durant le millénaire qui a précédé l’ère industrielle, les concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère sont restées relativement constantes. Toutefois, depuis lors, les concentrations de nombreux gaz à effet de serre ont augmenté sous l’effet direct ou indirect des activités humaines.

Le tableau 1 présente divers exemples de gaz à effet de serre. On y précise leur concentration en 1750 et 1998, l’évolution de leur concentration durant les années 90 et leur durée de vie dans l’atmosphère. La part prise par de tels gaz au forçage radiatif du changement climatique dépend des propriétés radiatives des molécules de ces gaz, de l’ampleur de l’augmentation de leur concentration dans l’atmosphère et de leur temps de séjour dans l’atmosphère après émission. Ce dernier facteur est d’ailleurs un paramètre d’une grande importance pour l’élaboration de politiques pertinentes. En effet, les émissions de gaz à effet de serre qui demeurent longtemps dans l’atmosphère contribuent de façon quasi irréversible au maintien du forçage radiatif pendant des décennies, des siècles, voire des millénaires avant que les quantités émises ne soient éliminées par des processus naturels.

Tableau 1 : Exemples de gaz à effet de serre soumis à l’influence des activités humaines. [D’après le chapitre 3 et le tableau 4.1]
  CO2
(Dioxyde de carbone)
CH4
(Méthane)
N2O
(Oxyde nitreux)
CFC-11
(Chlorofluoro carbone- 11)
HFC-23
(Hydrofluoro-carbone- 23)
CF4
(Perfluoro méthane)
Concentration pré-industrielle environ 280 ppm environ 700 ppb environ 270 ppb zéro zéro 40 ppt
Concentration en 1998 365 ppm 1745 ppb 314 ppb 268 ppt 14 ppt 80 ppt
Changement du taux de concentrationb 1.5 ppm/ansa 7.0 ppb/ansa 0.8 ppt/an -1.4 ppt/an 0.55 ppt/an 1 ppt/an
Temps de séjour atmosphérique 5 to 200 ansc 12 ansd 114 ansd 45 ans 260 ans >50,000 ans
a Aucun temps de séjour unique ne peut être déterminé pour le CO2 en raison des différents taux d’absorption des divers processus d’élimination.
b Ce temps de séjour a été défini comme un "temps d’ajustement" qui tient compte de l’effet indirect du gaz sur son propre temps de séjour.
cTaux calculé pour la période 1990-1999.
d Le taux a fluctué entre 0,9 ppm/an et 2,8 ppm/an pour le CO2 et entre 0 et 13 ppb/an pour le CH4 durant la période 1990-1999

Dioxyde de carbone (CO2)


Figure TS 10 — Variations de la teneur atmosphérique en CO2 sur différentes échelles de temps. a) Mesures directes du CO2 dans l’atmosphère. b) Teneur en CO2 des carottes glaciaires antarctiques pour le dernier millénaire. Des mesures atmosphériques récentes (Mauna Loa) sont indiquées pour comparaison. c) Teneur en CO2 des carottes glaciaires antarctiques du Taylor Dome. d) Teneur en CO2 des carottes glaciaires antarctiques de Vostok (les résultats des différentes études sont représentés par différentes couleurs). e) et f) Teneurs en CO2 déduites géochimiquement (Les barres et les lignes de différentes couleurs représentent les résultats de différentes études). g) Hausses annuelles de la teneur atmosphérique en CO2. Les hausses mensuelles ont été filtrées pour éliminer le cycle saisonnier. Les flèches verticales représentent les phases El Niño. La ligne horizontale définit la phase étendue El Niño de 1991 à 1994. [Fondée sur les Figures 3.2 et 3.3]
La concentration de CO2 dans l’atmosphère est passée de 280 ppm5 en 1750 à 367 ppm5 en 1999 (soit une augmentation de 31 pour cent; voir le tableau 1). La concentration actuelle de CO2 n’a jamais été dépassée durant les 420 000 dernières années et ne l’a probablement pas été durant les 20 derniers millions d’années. Le taux d’accroissement enregistré au siècle dernier est sans précédent, du moins pour les 20 000 dernières années (figure TS 10). La composition isotopique du CO2 et la diminution observée de l’oxygène (O2) démontrent que l’augmentation observée du CO2 est principalement due à l’oxydation du carbone organique par suite de la combustion des combustibles fossiles et du déboisement. La série accrue de données paléo-atmosphériques obtenues à partir des bulles d’air emprisonnées dans la glace pendant des centaines de milliers d’années permet de replacer l’augmentation des concentrations de CO2 pendant l’ère industrielle dans un contexte plus vaste (figure 10). Comparée à la stabilité relative de la concentration de CO2 (280±10 ppm) durant les millénaires précédents, l’augmentation observée pendant l’ère industrielle est spectaculaire. Depuis 1980, le taux d’accroissement de la concentration de CO2 atteint ainsi 0,4 pour cent par an. Cet accroissement est une conséquence des émissions de CO2. La majeure partie des émissions de ces 20 dernières années sont dues à la combustion de combustibles fossiles, le reste (de 10 à 30 pour cent) résultant essentiellement de modifications des modes d’utilisation des terres, et en particulier du déboisement. Comme l’indique la figure TS 9, le CO2 est le principal gaz à effet de serre sensible à l’activité humaine. Le forçage radiatif qui lui correspond actuellement s’établit à 1,46 Wm-2, ce qui représente 60 pour cent du total des variations de concentration de tous les gaz à effet de serre persistants et également répartis à l’échelle du globe.

Les mesures directes de la concentration de CO2 effectuées depuis 40 ans mettent en évidence d’importantes fluctuations du taux d’accroissement de cette concentration d’une année à l’autre. Pendant les années 90, le taux d’accroissement annuel du CO2 dans l’atmosphère a en effet varié de 0,9 à 2,8 ppm par an, ce qui équivaut à 1,9 à 6,0 PgC par an. Ces variations annuelles peuvent être statistiquement corrélées avec la variabilité à court terme du climat, qui influe sur le taux d’absorption et d’émission du CO2 atmosphérique par les océans et les terres émergées. Les valeurs les plus élevées de taux d’accroissement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère ont été généralement relevées les années de forte manifestation du phénomène El Niño (encadré N° 4). Cette corrélation peut s’expliquer d’une manière plausible par une réduction de l’absorption terrestre (voir une «dégazage» terrestre) du CO2 atmosphérique durant les années El Niño, annihilant la tendance des océans à absorber plus de CO2 qu’à l’accoutumée.

PIl est désormais possible, à partir d’observations atmosphériques, de calculer précisément, pour le CO2 anthropique, la part respective de l’augmentation de la concentration dans l’atmosphère et de l’absorption par les terres émergées et les océans durant les 20 dernières années. Le tableau 2 présente un bilan global du CO2 pour les années 80 (qui est semblable au bilan établi sur la base des résultats de modèles océaniques mentionnés dans le deuxième Rapport d’évaluation) et les années 90. Pour établir ces nouveaux bilans, on s’est fondé sur des mesures de la diminution de la teneur en oxygène (O2) de l’air et de l’augmentation de la teneur en CO2. Les résultats ainsi obtenus concordent avec ceux d’autres analyses fondées sur la composition isotopique du CO2 atmosphérique et avec des estimations indépendantes basées sur les mesures du CO2 et du CO2 dans l’eau de mer. Le bilan des années 90 repose sur de nouvelles mesures et met à jour le bilan de la période 1989-1998, établi à l’aide des méthodes du deuxième Rapport d’évaluation employées pour le rapport spécial du GIEC sur l’utilisation des terres, les changements d’affectation des terres et la foresterie (Land Use, Land-Use Change and Forestry – IPCC Special Report, 2000). Les années 80 et 90 ont été marquées par un accroissement du carbone dans l’ensemble de la biosphère terrestre; en effet, les émissions de CO2 provoquées par les changements d’affectation des terres (essentiellement la destruction des forêts tropicales) ont été plus que compensées par l’action d’autres puits terrestres, probablement situés dans la zone extra-tropicale nord et sous les tropiques. L’évaluation des quantités de CO2 libéré par suite de changements d’affectation des terres (et donc celle de l’ampleur du puits terrestre résiduel) reste entachée de grandes incertitudes.

La modélisation fondée sur les processus (modèles établis pour le carbone terrestre et le carbone océanique) a permis de procéder à une évaluation quantitative préliminaire des mécanismes propres au cycle mondial du carbone. Il ressort des résultats des modèles terrestres que le renforcement de la croissance des végétaux dû à la plus forte teneur en CO2 (fertilisation par le CO2) et au dépôt d’azote anthropique contribue sensiblement à l’absorption de CO2, puisqu’il pourrait bien être à l’origine du puits terrestre résiduel décrit plus haut, au même titre que d’autres mécanismes envisagés tels que l’adoption de nouvelles pratiques de gestion des terres. D’après les modèles, durant les années 80, le changement climatique a exercé sur le puits terrestre des effets minimes et d’un caractère incertain.

Tableau 2 : Bilans mondiaux du CO2 (en PgC par an) fondés sur des mesures de la concentration de CO2 et d’oxygène dans l’atmosphère. Les valeurs positives correspondent à des flux vers l’atmosphère, et les valeurs négatives, à une absorption de ces gaz présents dans l’atmosphère. [D’après les tableaux 3.1 et 3.3]
 
SAR a,b
Le présent rapporta
 
1980-1989
1980-1989
1990-1999
Augmentation dans l’atmosphère
3.3 ± 0.1
3.3 ± 0.1
3.2 ±0.1
Emissions (combustible fossile, ciment)c
5.5 ± 0.3
5.4 ± 0.3
6.3 ± 0.4
Flux océan-atmosphère
-2.0 ± 0.5
-1.9 ± 0.6
-1.7 ± 0.5
Flux terres émergées-atmosphèred
-0.2 ± 0.6
-0.2 ± 0.7
-1.4 ± 0.7
a. Il convient de noter que les incertitudes indiquées dans le présent tableau correspondent à une erreur-type de ±1. Celles qui sont citées dans le SAR correspondaient à une erreur-type de ±1,6 (c’est-à-dire à un intervalle de confiance d’environ 90 pour cent). Les incertitudes tirées du SAR ont été ajustées de manière à correspondre à une erreur-type de ±1. Les intervalles d’erreur indiquent l’incertitude, et non pas la variabilité interannuelle, qui est beaucoup plus élevée.
b. Les précédents bilans du carbone du GIEC calculaient l’absorption des océans à partir de modèles, et le flux terres émergées –atmosphère était déduit en faisant la différence.
c. Le chiffre correspondant aux émissions dues à la combustion de combustibles fossiles pour les années 80 a été revu légèrement à la baisse depuis le SAR.
d. Le flux terres émergées-atmosphère représente la différence entre une valeur positive correspondant au changement d’affectation des terres et une valeur négative correspondant au puits terrestre résiduel. Les deux termes ne peuvent être séparés sur la base des mesures atmosphériques actuelles. Sur la base d’analyses indépendantes qui ont permis d’estimer la composante «changement d’affectation des terres» entre 1980 et 1989, on peut déterminer le puits terrestre résiduel comme suit : changement d’affectation des terres : 1,7 PgC/an (0,6 à 2,5); puits terrestre résiduel : -1,9 PgC/an (-3,8 à 0,3). On ne dispose pas encore de données comparables pour les années 90.


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