Bilan 2001 des changements climatiques :
Les éléments scientifiques

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D.1 Processus climatiques et rétroactions

Les processus du système climatique déterminent la variabilité naturelle de ce système et sa réaction à des perturbations telles que l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. De nombreux processus climatiques fondamentaux d’importance sont bien connus et sont fort bien modélisés. Les processus de rétroaction amplifient (rétroaction positive) ou réduisent (rétroaction négative) les changements qui résultent d’une perturbation initiale et sont donc très importants pour une simulation exacte de l’évolution du climat.

Vapeur d’eau

L’augmentation de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère est l’une des principales rétroactions à l’origine du fort réchauffement prévu par les modèles climatiques en réaction à un accroissement de la concentration de CO2. L’élévation de la température de l’atmosphère accroît sa capacité de rétention de l’eau (cela ne veut pas dire pour autant que la teneur en vapeur d’eau augmentera réellement, puisque l’atmosphère est en grande partie sous-saturée). En deçà de la couche limite (soit approximativement dans les 1000 à 2000 premiers mètres de l’atmosphère), la teneur en vapeur d’eau augmente avec la température. Au-delà de la couche limite, dans la troposphère libre où l’effet de serre dû à la vapeur d’eau est le plus prononcé, la situation est plus difficile à quantifier. D’après les modèles actuels, la rétroaction propre à la vapeur d’eau double à peu près l’intensité du réchauffement par rapport à ce qu’il serait pour un niveau de vapeur d’eau fixe. Depuis le deuxième Rapport d’évaluation, d’importants progrès ont été réalisés dans le traitement de la vapeur d’eau par les modèles, quoique le détraînement de l’humidité provenant des nuages reste très incertain et que des écarts existent entre la répartition de la vapeur d’eau simulée et la répartition observée. Les modèles permettent de simuler les régions humides et les régions très arides observées dans les zones tropicales et subtropicales ainsi que leur évolution avec les saisons et au fil des ans. Cette capacité, aussi rassurante soit-elle, ne permet cependant pas de vérifier les rétroactions, bien que les éléments dont on dispose semblent confirmer une rétroaction positive de la vapeur d’eau en ciel clair d’une ampleur comparable à celle que donnent les simulations.

Nuages

Comme cela est établi depuis la parution du premier Rapport d’évaluation du GIEC, en 1990, les nuages et leurs interactions avec le rayonnement constituent probablement le principal facteur d’incertitude pour les projections relatives au climat. Les nuages peuvent aussi bien absorber et réfléchir le rayonnement solaire (et refroidir ainsi la surface du globe) qu’absorber et émettre un rayonnement de grandes longueurs d’onde (et donc réchauffer cette même surface). L’apparition de l’un ou l’autre de ces effets dépend de la hauteur, de l’épaisseur et des propriétés radiatives des nuages. Les propriétés radiatives et l’évolution des nuages sont à leur tour fonction de la répartition de la vapeur d’eau dans l’atmosphère, de la présence de gouttes d’eau, de particules de glace ou d’aérosols atmosphériques et de l’épaisseur des nuages. Si la basephysique du paramétrage des nuages dans les modèles s’est beaucoupaméliorée par suite de l’intégration d’une représentation globale des propriétés microphysiques des nuages dans l’équation de bilan hydrique des nuages, de nombreuses incertitudes demeurent. La nébulosité représente une importante source d’erreurs potentielles dans les simulations climatiques. L’hypothèse selon laquelle les modèles sous-évalueraient systématiquement l’absorption du rayonnement solaire par les nuages reste matière à controverse. Le signe de la rétroaction nette propre aux nuages est encore incertain, et les modèles présentent une grande disparité à cet égard. D’autres causes d’incertitude ont trait aux processus de précipitation et aux difficultés que soulève la simulation du cycle diurne ainsi que de la hauteur et de la fréquence des précipitations.

Stratosphère

On est de plus en plus conscient de l’influence que la stratosphère exerce sur le système climatique en raison des modifications de sa structure et du rôle crucial qu’elle joue dans les processus radiatifs et dynamiques. Le profil vertical des variations de température dans l’atmosphère, y compris la stratosphère, est un indicateur important pour les études de détection et d’attribution. La plupart des baisses de température observées dans la basse stratosphère sont dues à l’appauvrissement en ozone – dont le «trou d’ozone» au-dessus de l’Antarctique est une manifestation – plutôt qu’à l’augmentation de la concentration de CO2. Les ondes générées dans la troposphère peuvent se propager dans la stratosphère, où elles sont absorbées. En conséquence, les changements qui se produisent dans la stratosphère, outre qu’ils modifient le lieu et le mode d’absorption de ces ondes, ont des effets qui peuvent s’étendre jusqu’à la troposphère. Les variations de l’éclairement énergétique du soleil, principalement du rayonnement ultraviolet (UV), entraînent des modifications photochimiques de l’ozone et influent de ce fait sur le taux de réchauffement stratosphérique, avec des répercussions possibles sur la circulation troposphérique. Les limitations de la résolution et la représentation relativement médiocre de certains processus stratosphériques ajoutent encore un élément d’incertitude aux résultats de la modélisation.

Océan

Des progrès considérables ont été accomplis en matière de modélisation des processus océaniques, surtout en ce qui concerne le transport de chaleur. Ces améliorations, conjuguées à une meilleure résolution, ont grandement contribué à limiter l’ajustement des flux dans les modèles et à produire des simulations réalistes des configurations de la circulation naturelle à grande échelle et de meilleures simulations du phénomène El Niño (voir l’encadré N° 4). Les courants océaniques transportent la chaleur des zones tropicales vers des zones de latitude plus élevée. L’océan échange de la chaleur, de l’eau (par le biais de l’évaporation et des précipitations) et du CO2 avec l’atmosphère. En raison de sa masse énorme et sa grande capacité thermique, l’océan ralentit les changements climatiques et influe sur les échelles de temps de la variabilité au sein du système océan-atmosphère. La compréhension des processus océaniques qui influent sur les changements climatiques a beaucoup progressé. Les améliorations de la résolution ainsi que la meilleure représentation (paramétrage) d’importants processus d’échelle inférieure à la maille (par exemple des tourbillons à échelle moyenne) ont renforcé le réalisme des simulations. Quant à la représentation des processus à faible échelle tels que les débordements (à travers des chenaux étroits, par exemple entre le Groenland et l’Islande), les courants de bord ouest (courants étroits à grande échelle circulant le long des côtes) et les phénomènes de convection ou de mélange, elle est encore entachée de grandes incertitudes. Les courants de bord simulés sont plus faibles et plus larges que dans la réalité, bien que les conséquences pour le climat ne soient pas clairement établies.

Encadré N° 4 — Le phénomène El Niño/oscillation australe (ENSO)

Le phénomène El Niño/oscillation australe (ENSO) est la plus forte fluctuation naturelle du climat à une échelle de temps interannuelle. A l’origine, «El Niño» désignait un courant océanique chaud de faible intensité qui, chaque année, aux alentours de Noël, longeait la côte péruvienne en direction du sud; ce n’est que plus tard qu’il a été associé à des réchauffements d’une ampleur inhabituelle. Toutefois, ce réchauffement côtier va souvent de pair avec un réchauffement anormal de plus grande ampleur de l’océan, qui se manifeste jusqu’à la ligne internationale de changement de date. C’est ce phénomène intéressant l’ensemble du bassin du Pacifique qui constitue le lien avec les anomalies du climat mondial. La composante atmosphérique liée à «El Niño» est appelée l’«oscillation australe ». Les scientifiques désignent souvent ce phénomène d’origine à la fois atmosphérique et océanique par le sigle «ENSO» (El Niño/Southern Oscillation).

Le phénomène ENSO est un phénomène naturel qui, d’après les données fournies par les coraux et les carottes glaciaires prélevées dans les Andes, a débuté il y a des milliers d’années. Dans la partie tropicale du Pacifique, les conditions océaniques et atmosphériques sont rarement moyennes et ont plutôt tendance à fluctuer de façon assez irrégulière entre les épisodes El Niño et leur contraire, à savoir les épisodes «La Niña», qui consistent en un refroidissement de l’ensemble du bassin du Pacifique tropical. Ce cycle se déroule généralement sur une période de trois à six ans, chaque épisode étant marqué par une phase de forte intensité qui dure habituellement un an environ.

Le phénomène ENSO est précédé d’une configuration très particulière des températures à la surface du Pacifique. Les principaux éléments de cette configuration sont : le «réservoir d’eaux chaudes» du Pacifique Ouest tropical, où se trouvent les eaux océaniques les plus chaudes du monde; les eaux beaucoup plus froides du Pacifique Est; et une langue d’eaux froides le long de l’équateur, dont l’extension atteint un maximum vers octobre et un minimum en mars. Dans la zone tropicale, les alizés d’est repoussent les eaux chaudes vers l’ouest, provoquant une élévation de 60 cm du niveau de la mer le long de l’équateur. Les vents provoquent la formation de courants océaniques de surface, qui déterminent les lieux de convergence et de divergence des eaux de surface. C’est ainsi que des eaux froides, riches en substances nutritives, remontent à la surface le long de l’équateur et des côtes occidentales des Amériques, favorisant le développement du phytoplancton, du zooplancton et, par conséquent, des poissons. Comme les phénomènes de convection et les orages se produisent de préférence au-dessus des eaux chaudes, la configuration des températures de la mer en surface détermine la distribution des pluies dans la zone tropicale, qui détermine à son tour la configuration du réchauffement atmosphérique par libération de la chaleur latente. Ce réchauffement engendre les phénomènes de circulation à grande échelle de type mousson dans les régions tropicales et est donc à l’origine des vents. C’est cet étroit couplage entre l’atmosphère et l’océan dans la zone tropicale qui donne naissance au phénomène El Niño.

Pendant les épisodes El Niño, les eaux chaudes de la partie tropicale du Pacifique Ouest se déplacent vers l’est à mesure que les alizés faiblissent. Ce déplacement modifie la configuration des tempêtes de pluie tropicales, ce qui contribue à affaiblir encore les alizés, et accentue les variations de la température de la mer. Le niveau de la mer baisse à l’ouest, mais peut s’élever de 25 cm à l’est par suite de l’afflux d’eaux chaudes le long de l’équateur. Toutefois, les variations de la circulation atmosphérique, loin de se limiter aux régions tropicales, s’étendent à l’ensemble du globe et exercent leur influence sur les courants-jets et les trajectoires des tempêtes aux latitudes moyennes. Des configurations à peu près inverses caractérisent les épisodes La Niña.

Les changements liés au phénomène ENSO entraînent, dans le monde entier, de fortes variations du temps et du climat d’une année à l’autre. Ces variations ont souvent de profondes répercussions sur les sociétés humaines en raison des sécheresses, des inondations, des vagues de chaleur et autres changements qui peuvent grandement perturber l’agriculture, les pêches, l’environnement, la santé, la demande d’énergie ou la qualité de l’air et augmenter les risques d’incendie. Le phénomène ENSO joue également un rôle de premier plan dans la modulation des échanges de CO2 avec l’atmosphère. Ainsi, la remontée habituelle des eaux froides riches en substances nutritives et en CO2 dans la partie tropicale du Pacifique cesse pendant les épisodes El Niño.

Cryosphère

La représentation des processus liés aux glaces de mer ne cesse de s’améliorer, et plusieurs modèles climatiques incorporent désormais des traitements de la dynamique des glaces fondés sur des critères physiques. Quant à la représentation des processus liés aux glaces terrestres dans les modèles climatiques mondiaux, elle est toujours rudimentaire. La cryosphère consiste en ces régions du globe qui sont, en permanence ou durant certaines saisons, recouvertes de neige et de glace. Les glaces de mer jouent un rôle important, car elles réfléchissent une plus forte proportion du rayonnement solaire incident que la surface de la mer (autrement dit, elles ont un albédo plus élevé) et empêchent la mer de perdre trop de chaleur en hiver. C’est pourquoi toute réduction des glaces de mer se traduit par une rétroaction positive sur le réchauffement climatique aux latitudes élevées. En outre, comme la glace de mer contient moins de sel que l’eau de mer, sa formation a pour effet d’accroître la teneur en sel (la salinité) et la densité de la couche de surface des océans. Ce phénomène favorise les échanges d’eau avec les couches profondes de l’océan et influe donc sur la circulation océanique. La formation d’icebergs et la fonte des platesformes de glace permet à l’océan de récupérer de l’eau douce en provenance des terres émergées, de sorte que toute variation du rythme de ces processus peut avoir une incidence sur la circulation océanique en modifiant la salinité à la surface. Par ailleurs, la neige a un albédo plus élevé que la surface du sol, et toute réduction de la couverture neigeuse a une rétroaction positive similaire à celle des glaces de mer, quoique de moindre ampleur. Certains modèles climatiques prennent désormais en compte des scénarios nivométriques de plus en plus complexes ainsi que la variabilité à une échelle inférieure à la maille du manteau glaciel et de l’épaisseur des glaces, qui peuvent modifier profondément l’albédo et les échanges atmosphère-océan.

Terres émergées

Les recherches effectuées à l’aide de modèles contenant les représentations les plus récentes des terres émergées indiquent que les effets directs d’un accroissement de CO2 sur la physiologie des végétaux pourraient entraîner une réduction relative de l’évapotranspiration dans les régions tropicales, conjuguée à des phénomènes régionaux de réchauffement et d’assèchement d’une ampleur supérieure à celle prévue pour les effets classiques du réchauffement dû à l’effet de serre. Les variations qui se produisent à la surface du sol engendrent d’importantes rétroactions, dans la mesure où les changements climatiques anthropiques (par exemple les hausses de température, les variations de la hauteur de précipitation, les variations du réchauffement radiatif net et les effets directs du CO2) influent sur l’état de la surface du sol (humidité du sol, albédo, rugosité, végétation, etc.). Les échanges d’énergie, de quantité de mouvement, d’eau, de chaleur et de carbone entre la surface du sol et l’atmosphère peuvent être définis dans les modèles comme des facteurs qui sont fonction du type et de la densité de la végétation locale ainsi que de la profondeur et des propriétés physiques du sol, ces éléments étant tous tirés de bases de données sur les terres émergées qui ont été renforcées par des observations de satellite. Les progrès récents de la compréhension de la photosynthèse et de l’utilisation de l’eau par les végétaux ont permis de combiner les cycles de l’énergie terrestre, de l’eau et du carbone dans une nouvelle génération de paramétrages relatifs aux terres émergées, qui ont été vérifiés par comparaison à des observations sur le terrain et appliqués dans quelques modèles de la circulation générale (MCG), avec des améliorations notables dans la simulation des flux terres émergées-atmosphère. Toutefois, il reste encore à résoudre d’importants problèmes concernant les processus relatifs à l’humidité du sol, les prévisions d’écoulement, les changements d’affectation des terres, le traitement de la neige et l’hétérogénéité d’échelle inférieure à la maille.

Les modifications de la couverture des terres émergées peuvent influer sur le climat mondial de plusieurs façons. Le déboisement à grande échelle dans les régions tropicales humides (Amérique du Sud, Afrique, Asie du Sud-Est, etc.) est considéré comme le principal processus en cours pour ce qui est des terres émergées, parce qu’il entraîne une diminution de l’évaporation et une hausse de la température à la surface. Ces effets sont reproduits qualitativement par la plupart des modèles. Par contre, il subsiste encore beaucoup d’incertitudes quant à l’impact quantitatif du déboisement à grande échelle sur le cycle hydrologique, surtout au-dessus de l’Amazonie.

Cycle du carbone

Les améliorations apportées récemment aux modèles des cycles du carbone terrestre et océanique fondés sur les processus et leur évaluation par comparaison aux observations permettent d’envisager avec plus de confiance leur utilisation pour les futures études de scénarios. A l’état naturel, le CO2 circule rapidement entre l’atmosphère, les océans et les terres émergées. Par contre, l’élimination du CO2 dont la présence dans l’atmosphère résulte des activités humaines prend bien plus longtemps, en raison des processus qui limitent le rythme auquel les stocks de carbone terrestre et océanique peuvent augmenter. Le CO2 anthropique est absorbé par les océans en raison de sa grande solubilité (due à la nature même de la chimie des carbonates), mais le taux d’absorption est limité par la vitesse de mélange vertical. Le CO2 anthropique est absorbé par les écosystèmes terrestres selon plusieurs mécanismes possibles, dont la gestion des terres, la fertilisation par le CO2 (l’accélération de la croissance des plantes par suite de la concentration accrue de CO2 dans l’atmosphère) et l’augmentation des apports anthropiques d’azote. Cette absorption est limitée par l’importance relativement faible de la fraction du carbone des plantes susceptibles d’un stockage à long terme (bois et humus). La fraction des émissions de CO2 qui peut être absorbée par les océans et les terres émergées devrait diminuer avec l’accroissement des concentrations de CO2. Les modèles des cycles du carbone océanique et terrestre fondés sur les processus (notamment les représentations des processus physiques, chimiques et biologiques) ont été mis au point et évalués par comparaison à des mesures pertinentes du cycle naturel du carbone. Des modèles de ce genre ont été également élaborés pour simuler les perturbations anthropiques du cycle du carbone et ont permis d’établir des séries chronologiques de l’absorption du carbone océanique et terrestre qui concordent pour l’essentiel avec les tendances observées à l’échelle du globe. Il subsiste encore des différences marquées entre les modèles, notamment pour ce qui concerne le traitement de la circulation océanique et les réactions régionales des processus intéressant les écosystèmes terrestres au climat. Néanmoins, les modèles actuels indiquent tous que, sous l’effet des changements climatiques, l’absorption du CO2 par les océans et les terres émergées diminue.


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