E. MISE EN ÉVIDENCE D’UNE INFLUENCE HUMAINE SUR LES CHANGEMENTS
CLIMATIQUES
Les sections B et C traitent des
changements observés dans le passé pour ce qui est respectivement
du climat et des agents de forçage. La section D
est consacrée à la capacité des modèles climatiques
de prévoir la réaction du système climatique à ces
changements du forçage. Dans la présente section, on utilise ces
informations pour essayer de mettre en évidence une éventuelle influence
humaine sur les changements climatiques observés jusqu’ici.
C’est là une question d’importance. Le deuxième Rapport
d’évaluation concluait que «les éléments dont
on dispose laissent entrevoir une influence humaine perceptible sur le climat
mondial». On y précisait que la détection des indices d’un
changement climatique anthropique et la détermination de ses causes s’effectueraient
par une accumulation graduelle d’informations. On y prenait note également
des incertitudes liées à un certain nombre de facteurs –
notamment la variabilité interne ainsi que l’ampleur et les configurations
des forçages et des réactions –, qui ont empêché
de tirer des conclusions plus décisives.
E.1 Définitions de la détection et de l’attribution
La détection consiste à montrer qu’un changement observé
diffère significativement (au sens statistique du terme) de ce qui pourrait
s’expliquer par la seule variabilité naturelle. L’attribution
consiste à établir, avec un certain degré de confiance, une
relation de cause à effet, et notamment à évaluer les hypothèses
concurrentes. La réaction aux variations anthropiques du forçage
climatique s’inscrit dans le contexte d’une variabilité naturelle
propre au système climatique et d’une variabilité du climat
due à des forçages externes. La variabilité interne, c’est-à-dire
qui n’est pas forcée par des agents extérieurs, se produit
à toutes les échelles de temps – de la semaine au siècle,
voire au millénaire. Les composantes climatiques à réaction
lente tels que les océans jouent un rôle particulièrement
important à l’échelle de la décennie ou du siècle,
car elles intègrent la variabilité météorologique.
Le climat peut donc produire, sur des échelles de temps très longues,
des variations d’une grande ampleur sans aucune influence extérieure.
Les variations du climat dues à des forçages externes (les signaux)
peuvent résulter d’une évolution de certains facteurs de forçage
naturels (rayonnement solaire, aérosols volcaniques, etc.) ou anthropiques
(accroissement de la concentration de gaz à effet de serre ou d’aérosols,
etc.). En raison de la variabilité naturelle du climat, la détection
et l’attribution des changements climatiques anthropiques deviennent un
problème statistique de différenciation des signaux et du bruit.
Les études de détection permettent de déterminer si un changement
observé est ou non hautement inhabituel au sens statistique du terme, sans
pour autant en établir nécessairement les causes. L’attribution
d’un changement climatique à des causes anthropiques suppose une
analyse statistique ainsi que l’évaluation minutieuse de multiples
sources de données, en vue de démontrer, avec une marge d’erreur
définie à l’avance, que le changement observé:
- a peu de chance d’être entièrement dû à
la variabilité interne;
- concorde avec les réactions estimées à une combinaison
donnée de forçages anthropiques et naturels;
- ne concorde pas avec d’autres explications – concrètement
plausibles – de l’évolution récente du climat qui
excluent des éléments essentiels de la combinaison donnée
de forçages.
E.2 Des relevés d’observations plus complets et analysés
avec soin
Figure TS 14— Anomalies des températures moyennes mondiales
de l’air à la surface, tirées de simulations de contrôle
effectuées sur 1000 ans avec trois modèles climatiques différents
– Hadley, Geophysical Fluid Dynamics Laboratory et Hamburg, par rapport
aux relevés instrumentaux récents. Aucune des simulations
de contrôle sur modèle n’indique de tendance à
la surface aussi importante que la tendance observée. Si la variabilité
interne est correcte dans ces modèles, le réchauffement récent
n’est probablement pas dû à la variabilité produite
uniquement dans le système climatique. [Fondée sur la Figure
12.1] |
D’après les relevés instrumentaux, trois des cinq dernières
années (1995, 1997 et 1998) ont été les plus chaudes jamais
enregistrées à l’échelle du globe. On a évalué
l’incidence des erreurs d’échantillonnage propres aux observations
pour les relevés de la température moyenne à l’échelle
du globe et de l’hémisphère. De plus on a une idée
plus claire des erreurs et incertitudes propres aux températures mesurées
à partir de satellites (à l’aide de sondeurs à hyperfréquences,
ou MSU). On a dans une large mesure remédié aux incohérences
entre les données recueillies par sondeur à hyperfréquences
et par radiosonde, bien qu’on s’explique toujours mal l’évolution
observée de l’écart entre les températures enregistrées
à la surface du globe et dans la basse troposphère (voir la section
B). D’après de nouvelles reconstitutions de l’évolution
des températures durant les 1000 dernières années, il est
peu probable que les variations de la température au cours des 100 dernières
années soient entièrement dues à des causes naturelles,
même si l’on tient compte des importantes incertitudes qui caractérisent
les reconstitutions paléoclimatiques (voir la section
B).
E.3 Nouvelles estimations de la variabilité interne par modélisation
D’après les estimations effectuées à l’aide
des modèles actuels, il est fort peu probable que le réchauffement
observé ces 100 dernières années soit uniquement dû
à la variabilité interne. Les relevés instrumentaux portent
seulement sur la période où s’est exercée l’influence
humaine, tandis que les relevés paléoclimatiques englobent des variations
dues à des forçages naturels, telles que celles qui résultent
de variations de l’éclairement énergétique du soleil
ou de la fréquence des grandes éruptions volcaniques. Ces inconvénients
ne laissent guère d’autres possibilités, pour évaluer
la variabilité interne du climat, que celle de recourir à de longues
simulations «témoins» au moyen de modèles couplés.
Depuis le deuxième Rapport d’évaluation, on a utilisé
un plus grand nombre de modèles pour évaluer l’ampleur de
cette variabilité interne du climat (voir l’échantillon représentatif
présenté à la figure TS 14).
Comme on peut le constater, ces modèles présentent une variabilité
interne à l’échelle du globe d’une grande ampleur. Si
les valeurs estimées de la variabilité sur de grandes échelles
de temps – qui sont particulièrement utiles pour les études
de détection et d’attribution – sont incertaines, certains
modèles affichent, à l’échelle interannuelle ou décennale,
une variabilité similaire ou supérieure à la variabilité
observée, même si certains d’entre eux ne tiennent pas compte
de la variance due à des sources extérieures. Les conclusions quant
à la détection d’un signal anthropique ne varient pas selon
le modèle utilisé pour évaluer la variabilité interne,
et les changements récents ne peuvent être mis sur le compte de la
seule variabilité interne, même si l’on multipliait par deux
ou davantage l’amplitude des variations internes simulées. D’après
les études de détection et d’attribution les plus récentes,
aucun indice ne porte à croire que la variabilité interne à
la surface évaluée à l’aide de modèles ne concorde
pas avec la variabilité résiduelle déduite des observations
après suppression des signaux anthropiques estimés sur les grandes
échelles spatiales et temporelles propres aux études de détection
et d’attribution. On notera cependant que nos capacités de détection
des incohérences sont limitées. Comme l’indique la figure
TS 14, aucune simulation témoin ne révèle une évolution
de la température de l’air à la surface d’une ampleur
comparable à celle observée durant les 1000 dernières années.