Figure TS 10a) : Stratégie optimale de réduction des émissions de dioxyde de carbone, basée sur une approche coût-efficacité. |
Les cadres de prise de décision (CPD) liés aux changements climatiques englobent plusieurs niveaux allant des négociations internationales aux choix individuels, et impliquent plusieurs acteurs ayant des ressources, des valeurs et des aspirations différentes. D’où la difficulté d’en arriver à une stratégie de gestion acceptable pour tous. D’abord, en raison des interactions dynamiques entre les secteurs économiques et les groupes d’intérêt sociaux qui y sont associés, il est difficile d’établir une position nationale qui sera présentée dans les tribunes internationales. La complexité des négociations internationales concernant le climat découle d’un ensemble de positions nationales souvent ambiguës, ainsi que des liens entre la politique sur les changements climatiques et d’autres objectifs socio-économiques.
Aucun CPD ne peut reproduire la diversité susmentionnée dans toute sa richesse. Pourtant, les analystes ont fait d’importants progrès dans plusieurs secteurs depuis la publication du DRE. Ils intègrent, dans un premier temps, de plus en plus de questions à un cadre d’analyse unique afin de fournir une évaluation uniforme des éléments, des processus et des sous-systèmes étroitement liés. Les modèles d’évaluation intégrée (MEI) qui en résultent, dont il est question au chapitre 9 et, en fait, dans l’ensemble du rapport, fournissent aux décideurs des données utiles sur plusieurs questions touchant la politique sur les changements climatiques. Dans un deuxième temps, les scientifiques accordent une attention croissante au contexte plus vaste des questions liées au climat qui ont été ignorées ou qui n’ont fait l’objet que de peu d’étude antérieurement. Notons aussi l’intégration des questions de développement, de durabilité et d’équité dans le présent rapport.
Les changements climatiques diffèrent grandement de la plupart des autres problèmes environnementaux auxquels fait face l’humanité. Une combinaison de plusieurs caractéristiques leur confère un caractère unique. Mentionnons les questions touchant le bien public qui découlent des concentrations atmosphériques actuelles de gaz à effet de serre nécessitant une action mondiale, la multitude de décideurs (à l’échelle de la planète, des entreprises et des personnes), et l’hétérogénéité des émissions et leurs conséquences dans le monde. Qui plus est, la nature à long terme des changements climatiques est dictée par le fait que la concentration des gaz à effet de serre importe davantage que leurs émissions annuelles, ce qui soulève les questions épineuses de transferts intergénérationnels de richesses et des gains et des pertes pour l’environnement. Par ailleurs, les activités humaines liées aux changements climatiques sont répandues, ce qui rend impossible l’application des solutions technologiques étroitement définies, et les interactions entre la politique sur le climat et d’autres politiques socio-économiques générales sont importantes. Enfin, de grandes incertitudes, voire l’ignorance dans certains secteurs, caractérisent de nombreux aspects du problème, d’où la nécessité pour tous les CPD d’adopter une approche de gestion des risques axée sur les changements climatiques.
Figure TS 10b) : Stratégie optimale de couverture pour un scénario de faible probabilité et de fort impact, basée sur une approche d’optimisation coûts-avantages. |
Les décideurs sont donc confrontés à ces grandes incertitudes quand ils ont à choisir les réponses adéquates. Une vaste gamme d’outils a été mise au point en vue de les aider à faire des choix fondamentaux. Chacun des cadres d’analyse décisionnelle (CAD) a ses forces et ses faiblesses : certains arrivent à bien examiner les caractéristiques décrites ci-dessus, alors que d’autres y parviennent plus difficilement. De récentes analyses réalisées à l’aide d’outils bien établis, tels que l’analyse coûts-avantages (ACA) ainsi que les cadres nouvellement élaborés comme la méthode des “créneaux acceptables” ou de “l’atterrissage sans risque”, jettent un nouvel éclairage sur ce problème.
La figure TS 10a) montre les résultats d’une analyse coût-efficacité de la stratégie de couverture optimale qui suppose que l’incertitude entourant les objectifs de stabilisation à long terme persiste jusqu’en 2020; les résultats indiquent qu’une réduction au cours des prochaines années aurait une valeur économique appréciable s’il y avait une forte probabilité que les émissions demeurent inférieures aux plafonds, lesquels seraient autrement atteints dans les échelles de temps caractéristiques des systèmes produisant des gaz à effet de serre. Le degré de couverture à court terme dans l’analyse susmentionnée dépend de la date à partir de laquelle l’incertitude sera levée, de l’inertie du système énergétique et du fait que l’objectif ultime de réduction des concentrations (une fois révélé) doit être atteint à tout prix. D’autres travaux, par exemple la modélisation des coûts-avantages structurée selon un problème d’analyse de décision bayesienne, montrent que les cheminements optimaux d’émission à court terme (deux prochaines décennies) ne s’écartent que légèrement des scénarios de prévision idéale, et qu’ils fournissent même une couverture pour les scénarios de faible probabilité et de fort impact (voir la figure TS 10b)). Néanmoins, il pourra s’avérer nécessaire de prendre des décisions concernant les politiques climatiques à court terme alors que l’objectif de stabilisation fera encore l’objet d’un débat. La prise de décision doit donc envisager une couverture adéquate d’ici à ce que l’objectif soit fixé ainsi que la révision éventuelle des données scientifiques quant aux dangers associés aux changements climatiques. Les deux approches comportent des différences importantes : l’analyse coût-efficacité fixe l’objectif indépendamment des coûts et l’analyse coûts-avantages établit un équilibre entre les coûts marginaux et les avantages marginaux. Mais, le message de base est très similaire et vise l’intégration explicite de l’incertitude et de sa résolution séquentielle dans le temps. L’ampleur souhaitable de la couverture dépend de l’évaluation que l’on fait des enjeux, des chances de succès et du coût des mesures stratégiques. La prime associée au risque – le prix que la société est prête à payer pour réduire le risque – est, somme toute, une décision politique qui varie d’un pays à l’autre.
Les analyses coût-efficacité cherchent à atteindre un objectif environnemental au coût le plus bas en égalisant les coûts marginaux de l’atténuation dans l’espace et le temps. Les études coût-efficacité à long terme estiment les coûts de stabilisation des concentrations de CO2 atmosphérique à différentes échelles et révèlent que les coûts du plafond à 450 ppmv sont substantiellement plus élevés que ceux de la limite à 750 ppmv. Au lieu de rechercher un itinéraire optimal unique, la méthode des “créneaux acceptables” ou de “l’atterrissage sans risque” cherche à délimiter la gamme complète de cheminements d’émission possibles pouvant satisfaire aux contraintes de coûts des émissions et des impacts climatiques définis à l’externe. Les résultats indiquent qu’un retard dans l’application de réductions efficaces des émissions à court terme peut considérablement restreindre la gamme d’options futures visant à atteindre des objectifs relativement rigoureux en matière de changements climatiques, tandis que des objectifs moins stricts offrent plus de flexibilité à court terme.
La structure et les caractéristiques des ententes internationales sur les changements climatiques auront une influence importante sur l’efficacité ainsi que sur les coûts et avantages de l’atténuation. L’efficacité, les coûts et les avantages d’un régime international de mesures visant les changements climatiques (par exemple, le Protocole de Kyoto ou d’autres ententes éventuelles) dépendent du nombre de signataires et de leurs objectifs de réduction et/ou de leur engagement politique. De plus, le nombre de signataires dépend de la mesure dans laquelle les engagements des participants sont partagés de façon équitable. L’efficience économique (minimiser les coûts en maximisant la participation) et l’équité (répartition des engagements de limitation des émissions) sont donc étroitement liées.
Il existe une relation tripartite entre la conception d’un régime international, le rapport coût-efficacité/efficience des politiques sur le climat et les répercussions économiques qui en découlent, en termes d’équité. Par conséquent, il est crucial de concevoir un régime international qui soit efficient et équitable. La documentation présente différentes stratégies théoriques visant à optimiser un régime international. Par exemple, le régime pourrait être conçu de façon à inciter certains pays à se joindre à un groupe qui s’engagerait à atteindre des objectifs précis en matière de limitation et de réduction des émissions, en favorisant davantage le principe d’équité, et par le fait même son efficience, dans le cadre d’une entente plus vaste, par le biais des mesures suivantes : allocation appropriée des objectifs dans le temps, rapprochement entre le débat sur le climat et d’autres enjeux (liens entre les enjeux), utilisation de transferts de fonds dans les pays touchés (paiements latéraux), ententes relatives au transfert de technologie.
Deux autres éléments importants influent sur la conception d’un régime international : la mise en œuvre et la conformité. L’efficacité du régime, qui est fonction de la mise en œuvre et de la conformité, est liée aux changements réels de comportement qui favorisent l’atteinte des objectifs de l’accord. Par “mise en œuvre”, on entend la concrétisation des accords internationaux par l’établissement de lois, de politiques et de règlements par les gouvernements nationaux. Le terme “conformité” renvoie à la notion du respect et du non-respect par les pays des dispositions d’un accord, et dans quelle mesure. La surveillance, l’établissement de rapports et la vérification sont essentielles à l’efficacité des régimes internationaux en matière d’environnement car, jusqu’à maintenant, les échecs de mise en œuvre nécessitant une surveillance, une évaluation et l’application de mesures systématiques ont été relativement rares. Quoi qu’il en soit, de plus en plus d’efforts visent à établir des “systèmes d’examen de la mise en œuvre”, qui sont déjà intégrés dans la structure de la CCNUCC. Le défi de l’avenir est de rendre ces systèmes plus efficaces, notamment en améliorant les données sur les émissions, les politiques et les mesures à l’échelle nationale.
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