L’ampleur des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre un objectif donné est primordiale lorsqu’il s’agit de déterminer le coût brut des mesures d’atténuation, d’où l’importance cruciale du niveau d’émissions de référence. Le taux d’augmentation des émissions de CO2 est lié à la croissance du PIB, au taux de diminution de la consommation d’énergie par unité de production, et au taux de diminution des émissions de CO2 par unité de consommation d’énergie.
Dans le cadre d’un projet de comparaison de modèles multiples auquel participaient plus d’une douzaine d’équipes de modélisation du monde entier, le coût brut associé au respect du Protocole de Kyoto a été étudié à l’aide de modèles axés sur le secteur de l’énergie. On a tenu compte de l’imposition de taxes sur le carbone pour faire diminuer les émissions, et du recyclage des recettes générées par ces taxes sous la forme de montants forfaitaires. Le niveau de la taxe fournit une indication approximative de l’ampleur de l’intervention qui serait nécessaire sur le marché, et correspond au coût marginal de réduction permettant d’atteindre une cible d’émissions établie. Le niveau de taxe requis pour atteindre un objectif précis sera déterminé par les sources marginales d’approvisionnement (dont la conservation), en tenant compte ou non de l’objectif. D’autres facteurs seront également déterminants, dont l’ampleur des réductions d’émissions nécessaires, les hypothèses concernant le coût et la disponibilité des technologies libérant des émissions de carbone et de celles exemptes de carbone, la base de ressources de combustibles fossiles, ainsi que l’élasticitéprix à court et à long terme.
En l’absence d’échanges internationaux de droits d’émission, les taxes sur le carbone qui devraient être mises en place pour que les restrictions imposées par le Protocole de Kyoto soient respectées en 2010 varient énormément selon les modèles appliqués. Le tableau TS 416 indique que les valeurs calculées vont de 76 à 322 $US pour les Etats-Unis; de 20 à 665 $US pour les pays européens de l’OCDE; de 97 à 645 $US pour le Japon; et enfin, pour le reste des pays de l’OCDE (CANZ), de 46 à 425 $US. Toutes les données sont en dollars américains de 1990. Si les échanges internationaux sont permis, les coûts marginaux de réduction seront de l’ordre de 20 à 135 $US/tC. Ces modèles ne tiennent habituellement pas compte des mesures sans regrets, ni des possibilités de réduction du CO2 par les puits, ou des gaz à effet de serre autres que le CO2.
Cependant, on ne peut établir aucune corrélation stricte entre le niveau de taxe sur le carbone et la variation du PIB et du bienêtre, en raison des particularités de chaque pays, et de leurs politiques en vigueur (un niveau de taxation unique accablera moins les pays où l’énergie fossile n’occupe pas une part importante de la consommation finale).
Afin d’établir une comparaison commode entre les pays, on suppose, dans les études ci-dessus, que les recettes générées par les taxes sur le carbone (ou par les droits d’émissions vendus aux enchères) sont recyclées dans l’économie sous la forme d’un montant forfaitaire. Le coût social net découlant d’un coût marginal donné de limitation des émissions peut être diminué si les recettes fiscales visent à financer une baisse des taux marginaux des taxes facteurs de distorsion déjà existantes, comme l’impôt sur le revenu, les charges sociales et les taxes sur les ventes. Alors que le recyclage des recettes sous forme de montant forfaitaire n’entraîne aucun gain sur le plan de l’efficacité, le recyclage par le biais d’une diminution des taux marginaux d’imposition contribue à éviter certains coûts liés à l’efficacité des taxes existantes ou aux pertes économiques qui en découlent. Cela soulève la possibilité qu’une taxe sur le carbone sans incidence sur les recettes puisse offrir un double dividende, en (1) améliorant l’environnement et (2) réduisant les coûts du régime fiscal.
Tableau TS 4: Principaux résultats du forum sur la modélisation de l’énergie. Coûts marginaux de réduction (en US$/tC de 1990; objectif de Kyoto de 2010) | ||||||
Modèle | Pas d’échanges |
Echange entre pays Ann. I |
Echanges mondiaux |
|||
E.-U. |
OCDE-E |
Japon |
CANZ |
|
|
|
ABARE-GTM | 322 |
665 |
645 |
425 |
106 |
23 |
AIM | 153 |
198 |
234 |
147 |
65 |
38 |
CETA | 168 |
46 |
26 |
|||
Fund | 14 |
10 |
||||
G-Cubed | 76 |
227 |
97 |
157 |
53 |
20 |
GRAPE | 204 |
304 |
70 |
44 |
||
MERGE3 | 264 |
218 |
500 |
250 |
135 |
86 |
MIT-EPPA | 193 |
276 |
501 |
247 |
76 |
|
MS-MRT | 236 |
179 |
402 |
213 |
77 |
27 |
Oxford | 410 |
966 |
1074 |
224 |
123 |
|
RICE | 132 |
159 |
251 |
145 |
62 |
18 |
SGM | 188 |
407 |
357 |
201 |
84 |
22 |
WorldScan | 85 |
20 |
122 |
46 |
20 |
5 |
Administration | 154 |
43 |
18 |
|||
EIA | 251 |
110 |
57 |
|||
POLES | 135.8 |
135.3 |
194.6 |
131.4 |
52.9 |
18.4 |
Note : Les
résultats du modèle Oxford ne sont pas compris dans les fourchettes rapportées
dans le Résumé technique et dans le Résumé à l’intention des décideurs,
parce que ce modèle n’a pas fait l’objet d’un examen scientifique suffisamment
approfondi (et n’est donc pas approprié aux fins de la présente évaluation
du GIEC), et parce qu’il se base sur des données remontant au début des
années 80 pour établir les paramètres fondamentaux qui déterminent les résultats
obtenus. Il n’existe aucun lien entre ce modèle et le CLIMOX, de l’Oxford
Institutes of Energy Studies, auquel on fait référence dans le tableau
TS 6. FME-16. Pertes de PIB (en termes de pourcentage du PIB total) associées au respect des objectifs fixés en vertu du Protocole de Kyoto. Les quatre régions décrites comprennent les Etats-Unis, les pays européens de l’OCDE (OCDE-E), le Japon et, enfin, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (CANZ). Les scénarios sont au nombre de trois : sans échanges, avec échanges entre les pays de l’Annexe B seulement, et avec échanges internationaux. |
On distingue deux types de double dividende : le double dividende faible, et le double dividende fort. Dans le premier cas, les coûts d’une réforme axée sur l’environnement, sans incidence sur les recettes, où les revenus fiscaux sont destinés à abaisser les taux marginaux des taxes antérieurement facteurs de distorsion, sont réduits en proportion des coûts générés par la redistribution fiscale aux ménages et aux entreprises sous la forme d’un montant forfaitaire. Dans le deuxième cas, les coûts d’une réforme du régime fiscal axée sur l’environnement, sans incidence sur les recettes, sont nuls ou négatifs. Le double dividende faible reçoit un appui quasi universel, alors que le double dividende fort suscite de la controverse.
La façon de recycler les recettes générées par les taxes sur le carbone et
par la vente aux enchères de droits d’émissions dépend des particularités d’un
pays donné. Les résultats des modélisations indiquent que dans le cas des économies
particulièrement inefficaces ou désorganisées sur le plan des questions non
environnementales, l’effet de recyclage des recettes fiscales peut effectivement
être suffisamment important pour compenser les coûts primaires et l’effet d’interaction
des taxes, et donner lieu au double dividende fort. Ainsi, selon plusieurs études
portant sur les économies européennes, où les régimes fiscaux peuvent présenter
de sérieuses distorsions en matière d’imposition relative du travail, il est
possible d’obtenir un double dividende fort, du moins plus fréquemment qu’avec
d’autres options de recyclage. En revanche, la plupart des études menées aux
Etats-Unis sur les taxes sur le carbone et les politiques relatives aux droits
d’émissions démontrent que le recyclage sous la forme d’une diminution des impôts
relatifs au travail est moins efficace que par le biais d’une baisse d’imposition
sur le capital. Par contre, ces études ne constatent aucun double dividende
fort. Elles concluent également que, même dans les cas où l’on n’observe aucun
effet de double dividende fort, les résultats sont considérablement meilleurs
avec une politique de recyclage des recettes qui sont utilisées pour diminuer
les taux marginaux d’imposition en place, qu’avec une politique ne prévoyant
pas le recyclage des recettes, comme dans le cas, par exemple, des quotas acquis.
Dans tous les pays où des taxes sur le CO2 ont été instaurées, certains
secteurs en ont été exemptés, ou encore la taxe varie en fonction des secteurs.
La plupart des études concluent que les exonérations fiscales font croître les
coûts économiques relatifs aux politiques de taxation uniforme. Cependant, des
écarts persistent dans l’ampleur des coûts engendrés par les exonérations.
Le total des coûts revêt une importance aussi grande que la répartition de ces coûts dans l’évaluation globale des politiques relatives au climat. Une politique menant à un gain en efficacité peut ne pas améliorer le bien-être de façon générale si elle a pour effet de détériorer au lieu d’améliorer la situation de certaines personnes. De toute évidence, lorsqu’il y a une volonté de réduire les écarts de revenu au sein de la société, on doit tenir compte de la répartition des revenus dans l’évaluation.
Les effets distributifs d’une taxe sur le carbone semblent régressifs, sauf si les recettes générées par cette taxe sont utilisées, directement ou indirectement, en faveur des groupes à faible revenu. Le recyclage des recettes fiscales par le biais d’une diminution des impôts relatifs au travail peut avoir des effets distributifs beaucoup plus intéressants que la redistribution d’un montant forfaitaire, où les recettes recyclées reviennent à la fois aux salariés et aux entrepreneurs. Une diminution de l’imposition du travail a pour effet d’augmenter les salaires et de favoriser principalement les salariés. Or, il est possible que les groupes les plus démunis de la société ne tirent aucun revenu du travail. A cet égard, une diminution des impôts relatifs au travail ne serait pas nécessairement toujours préférable aux options de recyclage qui profitent à tous les segments de la société, et elle pourrait diminuer le caractère régressif des taxes sur le carbone.
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