Ce chapitre situe l’atténuation des changements climatiques, politique d’atténuation et la teneur du reste du rapport dans contexte plus général du développement, de l’équité et de durabilité. Ce contexte reflète les conditions et les principes explicites énoncés par la CCNUCC sur l’atteinte de l’objectif final qui est de stabiliser les concentrations de gaz à effet serre. La CCNUCC fixe trois conditions à l’objectif de stabilisation : celui-ci doit être atteint dans un délai suffisant “pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable” (art. 2). Elle précise également plusieurs principes qui doivent orienter ce processus : l’équité, des responsabilités communes mais différenciées, des mesures de précaution, des mesures de rentabilité, le droit d’œuvrer pour un développement durable et le soutien d’un système économique international ouvert (art. 3).
Les rapports d’évaluation préalables du GIEC cherchaient à faciliter l’atteinte de cet objectif en décrivant, cataloguant et comparant avec force détails les techniques et les instruments stratégiques pouvant servir à atténuer les émissions de gaz à effet de serre d’une manière à la fois rentable et efficace. Ce rapport d’évaluation favorise ce processus en faisant état des analyses récentes des changements climatiques qui situent les évaluations politiques dans le contexte du développement durable. Cette portée élargie cadre à la fois avec l’évolution de la littérature sur les changements climatiques et avec l’importance que la CCNUCC attache au développement durable, notamment la reconnaissance que les “Parties ont le droit d’œuvrer pour un développement durable et doivent s’y employer” (art. 3.4). Elle contribue donc dans une large mesure à combler les lacunes des rapports d’évaluation antérieurs.
Les changements climatiques supposent des interactions complexes entre les processus climatiques, environnementaux, économiques, politiques, institutionnels, sociaux et technologiques. On ne peut donc en traiter ou le comprendre indépendamment d’objectifs de société plus vastes (comme l’équité ou le développement durable), ou d’autres sources de stress existantes ou futures. Compte tenu de cette complexité, une multitude d’approches ont fait surface pour analyser les changements climatiques et les défis qui s’y rattachent. Beaucoup d’entre elles incorporent les préoccupations sur le développement, l’équité et la durabilité (DED) (encore que partiellement et progressivement) dans leur cadre et leurs recommandations. Chaque approche souligne certains éléments du problème et se concentrent sur certaines catégories d’intervention, notamment la conception d’une politique optimale, le renforcement des capacités de conception et de mise en œuvre des politiques, le renforcement des synergies entre l’atténuation des changements climatiques et/ou l’adaptation et d’autres objectifs de société, et des politiques visant à renforcer l’apprentissage social. Ces approches sont donc complémentaires l’une de l’autre au lieu de s’exclure mutuellement.
Ce chapitre regroupe trois grandes catégories d’analyses, qui divergent moins sous l’angle de leurs buts ultimes que sous celui de leur point de départ et des instruments analytiques qu’elles privilégient. Les trois approches débutent par des préoccupations touchant respectivement l’efficacité et la rentabilité, l’équité et le développement durable et enfin, la durabilité mondiale et l’apprentissage social. Les trois approches retenues diffèrent au niveau de leur point de départ plutôt que de leurs buts ultimes. Quel que soit le point de départ de l’analyse, de nombreuses études cherchent à leur façon à incorporer d’autres préoccupations. Par exemple, de nombreuses analyses qui traitent de l’atténuation des changements climatiques dans l’optique de la rentabilité abordent les coûts, les avantages et le bien-être sous l’angle de l’équité et de la durabilité. De même, la catégorie d’études qui sont fortement motivées par des considérations d’équité entre les pays soutiennent en général que l’équité est indispensable pour que les pays en développement puissent atteindre leurs objectifs nationaux de développement durable (notion qui englobe les éléments implicites de durabilité et d’efficacité). De même, les analystes qui se préoccupent de la durabilité de la planète sont contraints par leur propre logique d’établir le bien-fondé de l’efficacité mondiale (souvent modélisée comme la dissociation de la production du flux des matières) et de l’équité sociale. En d’autres termes, chacune des trois optiques a amené l’équipe de rédaction à trouver les moyens d’intégrer des préoccupations qui dépassent de loin leur point de départ initial. Les trois catégories d’analyses se penchent sur le rapport existant entre l’atténuation des changements climatiques et les trois objectifs (développement, équité et durabilité), encore que sous des rapports différents et souvent très complémentaires. Néanmoins, elles structurent les enjeux différemment, se concentrent sur différents ensembles de relations de cause à effet, utilisent différents outils analytiques et parviennent souvent à des conclusions quelque peu différentes.
Rien ne permet de penser qu’une méthode analytique particulière convienne mieux à un niveau quelconque. De plus, les trois approches sont perçues comme étant éminemment synergiques. Les changements essentiels concernent principalement les types de questions posées et les types de renseignements recherchés. Dans la pratique, la littérature a pris de l’ampleur du fait de l’ajout de nouveaux enjeux et de nouveaux outils, intégrant plutôt qu’écartant les analyses faisant partie des autres points de vue. La gamme et la portée des analyses sur la politique climatique peuvent être perçues comme un élargissement progressif des types et de l’ampleur des incertitudes que les analystes ont bien voulu et ont été en mesure d’aborder.
La première optique sur l’analyse de la politique climatique est la rentabilité. Il s’agit de l’analyse conventionnelle de la politique climatique qui occupe une bonne place dans le Premier, le Deuxième et le Troisième Rapport d’évaluation. Ces analyses ont généralement été motivées, directement ou indirectement, par la question de savoir ce qui constitue la quantité de mesures d’atténuation la plus rentable pour l’économie mondiale à partir d’une projection de base particulière des émissions de GES qui reflète un ensemble particulier de prévisions socio-économiques. Dans ce cadre, les enjeux essentiels sont la mesure du rendement de diverses technologies et l’élimination des obstacles (comme les subventions existantes) à l’entrée en vigueur des politiques proposées qui ont le plus de chances de contribuer à la réduction des émissions. Dans un sens, l’axe de l’analyse ici est de déterminer un cheminement efficace à travers les rapports entre les politiques d’atténuation et le développement économique, déterminé par des paramètres d’équité et de durabilité, mais pas essentiellement guidé par eux. A ce niveau, l’analyse stratégique a presque toujours tenu pour acquis les institutions existantes et les goûts des individus; il s’agit d’hypothèses qui peuvent être valables pendant dix ou vingt ans, mais qui risquent de devenir plus contestables à plus long terme.
Si l’on a voulu élargir la portée de l’analyse et du discours sur la politique climatique pour tenir compte des paramètres d’équité, c’est pour ne pas se contenter d’étudier les incidences des changements climatiques et des politiques d’atténuation sur le bien-être de la planète dans son ensemble, mais également sur les iniquités qui existent entre les pays et au sein de ces pays. La documentation sur l’équité et les changements climatiques a enregistré des progrès considérables depuis vingt ans, mais il n’existe encore aucun consensus sur ce que l’on entend par ce qui est juste. Depuis que les questions d’équité sont inscrites dans le programme d’évaluation, elles sont devenues importantes pour définir la quête de méthodes efficaces d’atténuation des émissions. L’énorme documentation à ce sujet qui révélait de quelle façon les politiques environnementales pouvaient être entravées ou même bloquées par ceux qui les considéraient injustes a présenté un intérêt nouveau. Compte tenu de ces résultats, on a rapidement compris comment et pourquoi l’idée qu’une stratégie d’atténuation était injuste risquait d’entraîner une opposition à cette stratégie, au point de la rendre non optimale (ou même irréalisable, comme ce pourrait être le cas si les pays qui ne figurent pas à l’annexe 1 n’y participent jamais). Certaines analyses de rentabilité ont en fait posé les jalons d’une application de cette documentation en démontrant la sensibilité de certaines mesures d’équité à la conception des politiques, aux points de vue nationaux et au contexte régional. A vrai dire, les analyses de rentabilité ont même révélé des sensibilités semblables à l’égard d’autres mesures de développement et de durabilité. Comme nous l’avons mentionné, les analyses qui débutent par des préoccupations d’équité se concentrent essentiellement sur les besoins des pays en développement et en particulier sur l’engagement exprimé à l’article 3.4 de la CCNUCC d’œuvrer pour un développement durable. Les pays diffèrent sous des rapports qui ont de profondes répercussions sur les scénarios de référence et sur la gamme de mesures d’atténuation que l’on peut envisager. Les politiques climatiques réalisables et/ou souhaitables dans un pays donné dépendent dans une large mesure des ressources disponibles et des institutions, ainsi que des objectifs globaux du pays, dont les changements climatiques peut constituer un élément. Le fait de reconnaître cette hétérogénéité peut donc aboutir à une gamme différente d’options stratégiques jugées probables jusqu’ici et révéler des différences dans le potentiel de différents secteurs qui peuvent également contribuer à mieux comprendre ce que peuvent faire les intérêts non étatiques pour être mieux en mesure d’atténuer les changements climatiques.
La troisième optique est celle de la durabilité mondiale et de l’apprentissage social. Alors que la durabilité est intégrée dans les analyses de diverses façons, une catégorie d’études utilise comme point de départ la durabilité mondiale. Ces études se concentrent sur les autres moyens de parvenir à la durabilité de la planète et traitent de questions comme la dissociation de la croissance du flux des matières, par exemple par des systèmes de production écointelligents, des infrastructures exigeant peu de ressources et des technologies adaptées, et par la dissociation du bien-être de la production, notamment par des niveaux de performance intermédiaires, la régionalisation des systèmes de production et la modification des modes de vie. Une façon classique de déterminer les limites et les possibilités dans cette optique consiste à identifier les états durables de l’avenir, et à étudier les cheminements de transition vers ces états sous l’angle de la faisabilité ou du caractère souhaitable. Dans le cas des pays en développement, cela aboutit à un certain nombre de stratégies possibles qui peuvent s’écarter nettement de celles que les pays développés ont adoptées par le passé.
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